Mécanotype

En 1978, mon père acheta un fonds de commerce au 86 de la rue Claude Bernard, à Paris, en lisière du Quartier Latin. C’est ainsi que je découvris l’univers des machines à écrire, des photocopieurs et du mobilier de bureau !

Papa aux commandes, Maman à la compta, 2 techniciens et un livreur à mi-temps: Mécanotype allait rythmer nos vies pendant près de 4 ans. Au fur et à mesure, j’allais me familiariser avec les IBM direction, les Coronet Super 12, les Hermès, les Remington, les machines à boule et à marguerite. Pas de traitement de texte à l’époque, pas d’ordinateur portable (on disait micro-ordinateur).

La proximité du magasin avec la Sorbonne et quelques autre facultés environnantes nous valait de rencontrer quelques figures de la littérature et de la pensée françaises, qui venaient s’approvisionner en fournitures – encres, toner, papiers… C’est ainsi qu’un jour, j’ai rencontré Louis Althusser. C’était peu avant qu’il n’étrangle son épouse, Hélène Rytmann, dans leur appartement de Normale Sup, rue d’Ulm et qu’il ne défraie la chronique des faits divers. Il était venu acheter du papier, je crois, sa pipe vissée entre ses dents, le regard fatigué.

Le samedi, mes parents partaient en général à la campagne, dans une petite maison qu’ils avaient fait construire en Seine et Marne. Alors, quand j’étais libre, et cela m’arrivait souvent, j’allais ouvrir la boutique et je restais délicieusement seul à attendre le client. Depuis le petit bureau du fond aux cloisons vitrées, je regardais les passants, j’imaginais leur vie, je faisais de petites incantations pour que ceux qui s’arrêtaient devant la vitrine entrassent enfin. Parfois, je faisais un très joli chiffre d’affaires, vendant plusieurs machines dans la journée. Je me souviens d’une étudiante brésilienne qui m’avait acheté une Hermes Baby et dont la langueur sensuelle m’avait quelque peu fait bafouiller mon argumentaire…

Ce que je ne savais pas, c’était que Mécanotype allait marquer mon entrée de plein fouet dans la vie d’adulte, quand il s’est agit de déposer le bilan après la mort de mon père. Tout frais diplômé d’une école de commerce, je n’imaginais pas encore que le monde des « affaires » pût faire preuve d’un tel cynisme et d’une pareille cruauté. L’expert comptable qui balançait dans la rue les dossiers dont il ne voulait plus s’occuper, les fournisseurs impayés qui tentaient de récupérer leur marchandise – j’en avais sorti un en le menaçant avec le croc qui servait à baisser le rideau de fer de la vitrine – les soi-disant amis qui vous tournent le dos…

Je repense souvent à ces années où se mêlaient constamment l’inquiétude et l’espoir, où chaque jour apportait son lot de surprises et d’épreuves. Mais qu’importait, alors, puisque nous étions ensemble, en famille, pour les affronter…

(c) Musefabe 2013

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