L’étoile

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Arrivera-t-il à temps?

Le crépuscule absorbe les couleurs de la campagne. Le galop du cheval fait gicler la boue des ornières gorgées de pluie. Déjà, il a dépassé Freudenstadt. Les nuages tissent une fine tenture qui s’effiloche doucement. 

Franz regarde sa montre pour la centième fois.. 

Arrivera-t-il à temps?

Un sac mal rempli de quelques effets, un bouquet de fleurs des champs, un ou deux livres. Un salut rapide aux domestiques médusés. La mère, sur le perron, qui ne comprend rien… 

Le galop du cheval résonne dans la nuit qui s’avance. 

C’était au bal, à Münich. Les crinolines aériennes semblaient glisser sur le parquet du château comme sur la glace d’un étang. Franz s’était inscrit sur le carnet de bal d’une certaine baronne de Kempf. Par dépit. L’objet de ses ardeurs avait déjà rempli le sien avec de jeunes officiers qui gloussaient comme des crétins en paradant le sabre au côté. 

Franz tire sur les rênes et met le cheval au pas. Il s’en veut de ralentir sa course mais il ne peut maintenir sans arrêt un train d’enfer. Il lève la tête. Au passage d’une clairière, les étoiles se révèlent comme une pluie de diamants. Il en avise une, un peu plus brillante que les autres. 

Arrivera-t-il à temps? 

Madame la baronne de Kempf. Au lieu de la rombière qu’il imaginait, Franz découvre une jeune fille, presque une enfant. Elle esquisse un sourire. 

– C’est mon premier bal. Ne m’en veuillez pas, Monsieur.

Franz ne peut dire un mot. C’est qu’elle est aussi belle que timide. Il lui tend le bras. L’orchestre débute un quadrille. 

Ils dansent. Leurs yeux se cherchent en permanence, leurs mains se frôlent, se joignent. Dans un croisement, il lui demande son prénom. 

– Je m’appelle Lise. 

Arrivera-t-il à temps? 

L’étoile que Franz suit des yeux semble se déplacer en même temps que lui. Il est descendu de cheval. Un faible clair de lune fait dessiner aux arbres des ombres démesurées. Tout est bleu, tout est gris, tout est argent. Quelques lucioles flottent au dessus d’un champ de luzerne. Le cheval reprend des forces en soufflant des naseaux. 

Une autre nuit. Le bal, la terrasse du château. 

– Vous n’êtes pas sérieux, Monsieur l’officier. Nous avons raté la polka. 

– Appelez-moi Franz. 

– C’est entendu. Donc, Franz, nous avons raté la polka. Mais je ne vous en veux pas. A la place, vous m’offrez une pluie d’étoiles. 

– Lise, voulez-vous retourner dans la salle de bal?

Elle montre une étoile qui semble n’être là que pour eux

– Pas encore, Franz. Je suis bien ici, je suis bien avec vous. 

Les joues de Lise se colorent d’un léger vermillon. 

Arrivera-t-il à temps?

Un feu, au loin. Franz s’approche. Des gitans se chauffent à l’ombre de leurs carrioles. 

– Viens-donc, le voyageur. 

Une vieille femme lui fait signe de s’asseoir 

– Je ne reste pas, fait Franz. 

– Je sais, fait la femme. Il faut te hâter. Elle t’attend. 

La femme lui tend un petit verre d’alcool de prune. Franz la remercie et reprend son chemin. 

La lune a disparu derrière la montagne. La Forêt Noire porte bien son nom. Franz est remonté sur le cheval et il pique des deux. Galop à nouveau, dans la nuit. L’étoile est toujours là, au dessus de lui. 

Franz a emmené Lise au Kniebis. Une auberge dans la montagne, au milieu des épicéas. Ils s’aiment depuis deux mois. Ils font de longues promenades , elles cueille des brassées de fleurs. Franz chasse le daim. Elle tousse depuis quelques temps, déjà. Au début légèrement, puis, cette nuit-là, de véritables quintes qui l’épuisent. On fait venir le médecin. On sait. 

Arrivera-t-il à temps? 

La masse grise du sanatorium se découpe au loin. Quelques torches fumeuses en éclairent l’entrée. Franz saute de cheval. Il frappe comme un forcené à la lourde porte de chêne qui s’entr’ouvre. Il bouscule presque la sœur qui lui a ouvert et qui l’a reconnu.

– Où est-elle? 

– Au premier étage, la chambre 8. 

Lise est allongée sur un lit dans lequel elle semble se noyer. Elle tourne la tête. Elle sourit. 

– Franz, tu es venu. Il ne fallait pas. 

Franz dépose les fleurs dans un vase qu’il remplit d’eau fraîche. 

Lise tente de se redresser sur son oreiller. Sa voix est si faible.

– Tu m’as apporté notre étoile, mon Franz? Va la chercher, je t’en prie. 

Franz va à la fenêtre. Il scrute le ciel, en vain. 

Lise a fermé les yeux. 

© Fabrice Roy 2018

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Une réponse à « L’étoile »

  1. j’aime beaucoup
    bravo Fabrice

    Aimé par 1 personne

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