Vers la fin de l’après-midi, le port de Thèbes apparut aux regards. Des bateaux de toutes tailles déchargeaient les troncs de cèdre, l’orge, les blocs de calcaire blanc, de basalte et de quartzite sous le minutieux contrôle des scribes, des préposés aux grains et de la police du chancelier royal des deux flottes. Auprès d’un muret en construction, une file d’ouvriers nubiens au crâne rasé se passait de main en main des briques d’argile sous l’oeil vigilant des contremaîtres. Tous les peuples d’Egypte se croisaient sur les larges quais dans un bruissement continu où les ordres brefs de manoeuvre claquaient comme un fouet de charrier.
Les accents gutturaux des artisans du Haut-Pays se mêlaient aux cris des pécheurs du Delta dans un foisonnement d’expressions colorées. Il flottait des odeurs lourdes d’épices et de sueur, qu’un vent léger mélangeait en tourbillons musqués aux relents humides des berges. Près des entrepots de grain, des enfants nus couraient en glissant dans les flaques de vin échappées d’un jarre crevée, avant de disparaître en cohortes bruyantes dans les ruelles étroites de la ville.
Au delà de ce grouillement bigarré, on pouvait deviner au loin, derrière une succession de toits en terrasse, la haute muraille ocre du palais de pharaon, puis, séparé de la demeure royale par un réseau de jardins ombragés, le temple d’Amon, protecteur de Thèbes.
Alors, sur tous les chalands, les hommes se rassemblèrent et l’on entendit s’élever le chant des carriers de Kom-Ombo:
– Nous avons tiré les charges. Et les cordes ont meurtri nos épaules.
– Voyez, le chemin est rude et difficile. Et les cailloux pointus ont meurti nos pieds.
– Mais le fort a aidé le faible. La puissance de Min a coulé dans nos bras.
– Nos coeurs sont dans l’allégresse. Voyez, l’Unique sera satisfait.
Sur les quais, une foule de plus en plus dense se pressait afin d’assister à l’arrivée des transporteurs de pierre et de leurs six bâtiments. Une énorme ovation accueillit l’accostage de la barque de Shenen. Celui-ci avait passé son chasse-mouches dans son ceinturon de cuir et, les mains sur les hanches, bien campé sur ses grosses jambes, il savourait l’accueil réservé à son expédition. Un à un, les autres navires se présentèrent face à la jetée puis, dans le raclement du bois contre la pierre, ils s’immobilisèrent tel un troupeau en ligne à l’abreuvoir.
Rahotep ramassa ses affaires et se prépara à partir. Il sentit une main se poser sur son épaule.
– Et où comptes tu donc aller comme ça ? Shenen, le contemplait, l’oeil inquisiteur.
(c) Musefabe 2003
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