C’est au restaurant d’altitude de Chatel que je les ai vus, hier. René était avec Brigitte, sa femme, et Jean-Luc, leur fils, un ado aux cheveux noirs. René est chaudronnier à l’usine Descaves de Saint Martin. Brigitte est caissière au Super U du centre commercial. On dit hôtesse de caisse mais ça la gonfle, Brigitte, après tout, c’est caissière qu’elle est ! Tu la vois en bas nylon et en escarpins au Super U, la Brigitte, avec ses grosses fesses moulées dans une jupe en jersey ?
– Et pour Madaaaame, ce sera ?
Et un baril de bonux au scanner, et une étiquette de pack d’Evian collée sur le pot de confiotte – pour éviter de soulever les six bouteilles…. Hôtesse, et puis quoi encore ? Non, pour Brigitte, c’est chaque chose et chacun à sa place. D’ailleurs, son patron, Monsieur Delavergne, est content d’elle. Toujours à l’heure, toujours prête à remplacer une collègue qui a un pet de travers, jamais une erreur dans sa caisse.
Ils n’ont pas beaucoup de sous, René et Brigitte. Ils en mettent de côté un peu chaque mois pour pouvoir se payer les sports d’hiver. Enfin, pour les payer à Jean-Luc, vu que ni l’un ni l’autre ne savent skier. Et puis, de toutes façons, trois forfaits, trois locations de ski et de chaussures, ça aurait fait exploser le budget.
En été, ils partent en Bretagne, chez Mamie Lecoz, la maman de Brigitte. Alors, forcément, ça revient pas trop cher, surtout si on ne prend pas l’autoroute.
René doit avoir cinquante cinq ans, mais il en paraît facilement soixante. Son visage rondouillard est un peu ridé au coin des yeux, et ses petites lèvres fines ne laissent pas souvent passer un sourire. Dans la vraie vie, il porte toujours une casquette à carreaux vissée sur la tête mais là, pour Chatel, Brigitte lui a tricoté un bonnet bleu avec un pompon. Il a bien un peu râlé, le René, avant de mettre ce truc, puis il l’a enfilé, avec l’air fataliste des philosophes de comptoir. Entre nous, il a l’air un peu cucul avec ça, mais voyez-vous, au moins, il n’a pas froid aux oreilles.
Jean-Luc skie tout seul toute la journée avec un équipement digne des pionniers de la montagne. Fuseau noir (de son papa), anorak noir itou, gants de laine. Une fois, René lui a payé des cours collectifs et il a rapporté sa première étoile. Depuis, c’est devenu de plus en plus cher, alors, Jean-Luc, il se débrouille. Son truc, c’est d’accompagner les cours, de loin, et d’essayer de faire comme dit le moniteur. De temps en temps, il se fait moucher.
– Dis donc, mon gars, si tu veux nous suivre, va donc te prendre un ticket à l’ESF !
Il ne parle pas beaucoup, le Jean-Luc. De temps en temps, pendant que Brigitte fait les courses, il boit un vin chaud avec son père, à la terrasse du bar des pistes. Il regarde les mains de René, grosses, calleuses, qui dépassent des manches de son chandail.
– Papa ?
– Quoi donc, fiston ?
– Bernard, il veut bien me prendre dans son garage, l’année prochaine. Comme ça, je pourrai t’aider à payer les vacances.
Les petits yeux de René s’embrument un peu. Ca doit être le froid.
Brigitte les a rejoint, avec des sacs en plastique au bout des bras. Ils se lèvent tous les trois, pour attraper la navette de dix-sept heures. Leurs silhouettes disparaissent dans la foule.
Reste plus que des kakous bronzolés sapés mode et qui parlent fort.
Les cons…
© Musefabe 2007
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