Pendant plus de trente ans, Madame Dubois fut la concierge du 26 de l’avenue des Gobelins. C’était l’époque des vrais concierges, où les immeubles n’avaient pas encore remplacé leurs pipelets par des digicodes rutilants, des portes à fermeture magnétique et des sociétés de nettoyage qui vous balancent à grande eau leurs serpillères dans les escaliers.
C’était l’époque où le facteur ne mettait pas le courrier dans des boites d’aluminium qui pendouillent aux murs comme des stalles de catacombes, avec les noms, l’étage et tout le toutim gravé dessus (sauf quand les nouveaux arrivent et collent leur putain d’étiquette manuscrite-ça fait romano, j’vous jure…). Le facteur, en ce temps là, il donnait son paquet de lettres à Madame Dubois et elle montait distribuer les précieuses missives à chacun des occupants de l’immeuble. Ca lui permettait de papoter un peu et aussi, de s’assurer que Madame Gachet, avec ses quatre vingt sept printemps, respirait encore.
C’était l’époque où, quand on rentrait après dix heures du soir, on disait haut et fort son nom en passant devant la loge, pour que Madame Dubois sache qui pénétrait dans l’escalier. Non… je vois venir les nostalgiques, il n’y avait plus le cordon à tirer à mon époque (je ne suis quand même pas si vieux que ça !). D’ailleurs, il m’a fallu du temps pour comprendre que la monosyllabe sonore que prononçait mon père de sa belle voix de baryton était notre nom, magnifié par la résonnance du hall d’entrée.
Madame Dubois n’était pas à proprement parler une sylphide. Campée sur deux poteaux télégraphiques qui lui tenaient lieu de jambes, avec des cuisses comme les biceps d’Arnold, un cou massif dans lequel venait s’enchasser un visage carré aux lèvres invisibles et au petit nez court coiffé de lunettes aux bords pointus en bakélite, Madame Dubois m’inspirait, sinon la peur, du moins une certaine forme de respect. Elle était toujours vêtue d’une blouse grise et portait souvent un fichu dans les cheveux, aux bords noués aux quatre coins.
Sa loge était minuscule, avec tout le confort dans la cour, où se situaient les « commodités », dont elle seule avait la clé, pour éviter à tous les charclos de la Mouffe d’aller se soulager là-bas. Sa cuisine lui tenait lieu de salle de bains et sa chambre, de salle à manger. Vous n’allez pas me croire, mais je ne me souviens plus s’il il y avait aussi un Monsieur Dubois. Enfin, si c’était le cas, il devait être drolement diaphane, blotti derrière les épaules de Madame, dont un seul regard aurait suffit à mettre sa virilité en déroute.
Madame Dubois lavait, cirait, passait la boule de la rampe d’escalier au miror, papotait, montait le courrier (voir plus haut), allait chercher parfois les médicaments de Madame Lalanne quand celle-ci ne pouvait pas descendre les six étages depuis sa chambre de bonne. Bref, c’était une concierge, une vraie. Chaque année, elle recevait ses étrennes, et comme c’était une fichtrement bonne professionnelle, on lui beurrait la tartine plutôt plus que pas assez.
Madame Dubois n’est plus là depuis longtemps. Elle est remplacée par un digicode, des portes magnétiques qui font Dzzzzclic, des boites aux lettres en aluminium, et une société de nettoyage anonyme.
Même pas mal !
(c) Musefabe 2007
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