Madeleine contempla quelques instants le parallèlépipède qui trônait à présent dans son jardin, puis, avec la quasi certitude que tout cela n’était qu’un rêve bizarre, elle alla se coucher.
Le lendemain matin, elle se réveilla comme de coutume, sur les coups de six heures. Elle donna à manger au chat, mit le café à filtrer, trancha un morceau de pain de campagne, alluma la radio pour les informations et sortit du frigo le beurre salé. C’est au moment d’ouvrir les volets de la cuisine qu’elle se souvint de son aventure nocturne. Elle poussa les deux battants en haussant les épaules et se figea comme une statue de sel. Le machin rouge était bien là, parfaitement incongru sur l’allée bordée d’oeillets d’inde, et qu’il occultait si bien qu’il ne restait pour se rendre au garage qu’un passage d’un mètre de large tout au plus.
– Saperlipopette! fit Madeleine. Mais c’est que je ne peux plus sortir la voiture!
Il s’agissait d’une 403 Peugeot beige, certes un peu rouillée mais qui rendait ecore de fiers services quand il fallai faire les courses ou visiter les copines de scrabble.
Légèrement contrariée, Madeleine avala son petit déjeuner, enfila une robe de chambre, mit ses sabots de jardin et décida d’aller voir de plus près l’encombrante livraison de la nuit.
C’était un container d’environ quatre mètres de long sur deux de haut et deux de large, d’un beau rouge vermillon, propre comme un sou neuf et lisse comme une piste de danse. Assez curieusement, il n’avait aucune porte, juste un pavé numérique sur le devant, à côté d’une fente discrète.
Un petit post-it orange était collé près du clavier. Madeleine s’en saisit et lut les quelques mots qui y figuraient:
– « Pour démarrer la séquence, composer le 120534 ». La date de naissance de Gustave! murmura-t-elle dans un souffle.
Elle appuya fébrilement sur les touches idoines. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Madeleine allait s’en retourner lorsqu’un ronronnement feutré l’arrêta. Le container s’était mis à vibrer doucement.
Une fumée rosâtre sortit de la fente et entoura Madeleine d’un nuage translucide. En l’espace de quelques secondes, elle fut assaillie par un flot de sentiments d’une densité inouie. Des torrents d’amour d’une pureté extrème envahirent son esprit et elle vit sa vieille peau usée perdre ses rides, sa poitrine se raffermir, son dos se redresser, ses cheveux retrouver leur belle couleur auburn.
Au milieu de ce tourbillon de folle tendresse, se tenait un beau jeune homme au regard amusé.
– Gustave! cria Madeleine.
Gustave lui tendit la main.
– Allons nous promener dans le jardin, fit-il. Il n’a pas beaucoup changé depuis que je suis parti.
Gustave avait ces yeux bleu outremer qui avaient fait chavirer le coeur de la jeune fille, cinquante ans auparavant.
– Tu sais, mon chéri, je l’entretiens comme je peux. Regarde les rosiers…et les magnolias!
Madeleine s’appuyait au bras de son mari. Elle lui montrait les fleurs, les nouvelles plantations, la petite pergola où ils aimaient s’asseoir au crépuscule.
Gustave lui carressa la joue.
– Viens, dit-il. Là où je t’emmène, les fleurs sont plus belles, encore.
Madeleine le regarda et sourit.
Le docteur Magnan fit signe aux pompiers que tout était fini. Madeleine Champoux était allongée dans l’allée de son jardin, un inexplicable sourire aux lèvres, les bras repliés comme si elle avait voulu embrasser la rosée du matin. La voisine l’avait trouvée là, en robe de chambre et en sabots. Elle avait aussitôt alerté les secours. Les pompiers avaient parcouru le jardin et la maison sans rien remarquer de particulier. Le médecin constata le décès. Une banale et malheureuse crise cardiaque.
Avant de partir, cependant, il se promit de réfléchir à la présence de ce post-it, que Madeleine serrait dans sa main gauche: « Pour démarrer la séquence, composer le 120534 ».
(c) Musefabe 2010
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