La friteuse

Elle était posée sur le buffet de formica, ventre rebondi, parois luisantes, couvercle avec filtre et tableau de bord éléctronique dernier cri. Tout était paramétrable, température de chauffe, type d’huile, temps de cuisson, changement de bain… bref, une friteuse à laquelle ne manquait qu’une connexion internet avec commande en ligne automatisée de pains de végétaline et importation au format PDF de fiches recettes idoines.
Sacha se tourna vers Sandy. Fraichement coupées depuis le matin, c’étaient les frites les plus croquignolettes de la cuisine. Elles provenaient d’une grosse Bintje scalpée à l’économe et qui avait fourni une bonne dizaine de leurs frères et soeurs.Tout ce petit monde gisait à leur côté dans une soupière.
– Sandy!
– Oui Sacha… Sandy était encore plus belle, débarassée de son amidon superflu par un adroit coup de torchon.
– Comment te sens-tu? Sacha tenta de se redresser mais il était coincé comme dans un mikado géant.
– Bien, fit Sandy. A ton avis, que vont-ils faire de nous?
– J’ai l’impression qu’on va avoir droit à la grosse citerne, là-bas.
Sacha avisa la friteuse. Il ne connaissait pas l’utilité de l’ustensile mais il avait comme un pressentiment.
– On va se baigner?
Une frite voisine, qui avait tout entendu et semblait avoir de l’expérience eut un léger rictus
– Un bain? s’esclaffa-t-elle… alors un très spécial, du genre qui chauffe la cellulose!
Toutes les frites éclatèrent de rire. Sacha se tourna vers le comique.*
– Comment-ça, le genre qui chauffe?
– Ben oui mon gars, on te plonge dans un liquide visqueux ultra brûlant, tu bronzes à toute vitesse et tu croustilles comme pas deux…
Sandy prit la parole
– Qui vous a dit ça?
– Oh, c’est un truc de famille, qui se transmet de frite en chips.
– Purée! fit Sandy
Sacha avala sa salive légèrement amidonnée…
– Et après? demanda-t-il sans conviction.
Personne n’eut le temps de lui répondre. La soupière se souleva et versa sa cargaison de frites dans le panier qui plongea illico dans le bain d’huile bouillante.
Quelques minutes plus tard, Sacha retrouva Sandy à côté d’un steak beurre maître d’hotel.
– Mon amour! fit-il
Sandy ressemblait à une pomme allumette. Elle hébergeait à présent quelques grains de sel de montagne à la chevelure de cristaux translucides.
– Sacha, je…
Les deux frites disparurent en même temps, happées par les doigts du petit garçon. Puis, sa maman débrancha la friteuse et la rangea dans le placard.
(c) Musefabe 2010

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s