Georges et Lyautey

-Garde à vous !
Dans la cour écrasée de soleil, le 94ème régiment d’artillerie de montagne est rassemblé. Sous les brodequins, les ombres sont minuscules. Les gouttes de sueur perlent aux lisières des képis. La poussière de la place d’armes voltige en chaudes fumerolles avant d’aller se coller sur les visages tannés par le soleil.
Le canonnier Georges se fige en plissant des yeux. A ses pieds se tient Joséphine, la chienne mascotte du régiment, un composé arbitraire de toutes les races disponibles dans la région niçoise. Comme les tuyaux d’un orgue baroque, les canons de 65 montrent leur groin, qui pouvait balancer les pélots de 4 kilos à plus de 5 kilomètres. Il ne fallait pas moins de quatre mulets pour trimballer leurs quatre cents kilos de feraille sur les sentiers pierreux du Rif, à la poursuite d’Abd el Krim.
La nouvelle était tombée quelques jours plus tôt. Le gouvernement de Paul Painlevé venait de remplacer Lyautey par Pétain, à la tête des troupes au Maroc. C’était le crépuscule d’un homme, le début d’une légende.
– Repos !
– Garde à vous !
Une voiture pénètre dans la cour de la caserne en soulevant des nuages de sable beige. Une silhouette en descend et entreprend immédiatement de passer les troupes en revue. Georges n’en croit pas ses yeux. C’est Louis Hubert Gonzalve Lyautey, c’est le Maréchal. Il a encore une belle allure, cheveux gris et moustaches blanches. Il marche d’un bon pas, regardant un à un les hommes qui lui présentent les armes.
Soudain, le Maréchal s’arrète, en face de Georges.
– Quel âge avez vous, mon garçon ?
La voix est douce, presque féminine. Georges est pétrifié. il arrive à bafouiller sa réponse.
– Euh, dix-neuf ans, Monsieur le Maréchal.
– Dix-neuf ans ? C’est bien jeune pour un sergent !
Le Maréchal reprend sa marche avec un sourire.
Cinquante ans plus tard, en me relatant l’anecdote, Georges, mon grand-père, m’avoua qu’il avait failli répondre:
– C’est peut-être jeune pour faire un sergent, mais c’est bien assez vieux pour se faire zigouiller, Monsieur le Maréchal.
C’était la première et la dernière fois qu’il voyait Lyautey d’aussi près. il devait l’entr’apercevoir à nouveau, en 1931, à l’inauguration de l’exposition coloniale de Paris.
(c) Musefabe 2007

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