Au grand chic

Au 26 de l’avenue des Gobelins, au temps où les petits commerces pouvaient encore subsister et donner du boulot à ceux qui en voulaient, au temps des flics à képi et bâton blanc, au temps des autobus à plate-forme et des car-en-sac, au 26 de l’avenue des Gobelins donc, se trouvait la plus petite boutique de tailleur du monde. La vitrine en bois et vitres claires ne pouvait contenir qu’un costume à la fois, déposé avec soin à la vue des passants. L’exiguïté de l’endroit inspira à son occupant une démarche de marketing dont la hardiesse laisse aujourd’hui encore sans voix. Il avait confectionné des petites étiquettes disposées ça et là et qui disaient: « N’allez pas dans tout Paris chercher ce qui est ici » ou encore « La boutique est petite mais le choix est grand à l’intérieur ». Touche finale, le magasin s’appelait « Au grand chic ». Je ne me souviens pas à quoi ressemblait le petit tailleur (je ne peux pas penser qu’il était grand) mais je l’imaginais, attendant le client dans sa boîte à poupées, redressant les étiquettes et brossant avec soin le Dormeuil de la vitrine. Un jour, le petit tailleur n’est pas venu ouvrir sa boutique. Cela a inquiété Jacques, le chemisier d’à côté qui refusait de vendre son magasin à la Société Générale. Aujourd’hui, la banque a squatté tout le bas de l’immeuble, après avoir mangé la boulangerie et la brasserie « le Cadran Bleu » par dessus le marché… Comme disait je ne sais plus qui, un quartier qui crève, c’est quand on y déracine le petit commerce pour y planter des banques et des agences immobilières…

(c) Musefabe 2005

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