Le samedi matin, il entrait dans le bar enfumé. Il était très élégant, avec son manteau bleu nuit bien coupé et son chapeau à la Bogart. Monsieur Talon n’était plus tout jeune mais il avait un beau visage de vieux monsieur, un regard très doux. Il ne marchait pas très vite en s’aidant d’une canne en bois qui faisait des « toc » sur le carrelage.
Tout le monde le connaissait au bistrot. Il ne venait que ce jour là. On le voyait émerger au bout de la rue, passer devant la gare, traverser le petit passage à niveau, doucement, pour ne pas trébucher sur les rails. En arrivant, il soulevait son chapeau en saluant à la cantonnade d’un « bonjour messieurs » de sa voix frêle.
Quelques uns lui répondaient, d’autres continuaient leur partie de belote ou le trouillotage de leurs tickets de tiercé. Monsieur Talon allait s’asseoir à sa table, toujours la même. Le patron lui apportait un crème, qu’il dégustait à petites gorgées. En même temps, il sortait un grand livre bleu d’ un sac en plastique et commençait à en tourner les pages avec attention. Parfois, il s’essuyait les yeux avant de regarder encore les photos noir et blanc disposées avec soin. Il en soulignait certaines avec le doigt.
Lorsqu’il avait un voisin ou une voisine, Monsieur Talon lui montrait parfois son album.
– Regardez, là, c’était à La Rochelle.
L’autre jetait un oeil distrait avec un sourire poli
– Ah oui, c’est ça, c’est la Rochelle…
Puis Monsieur Talon se tournait vers ceux qui étaient accoudés au comptoir:
– Là, nous étions au camping de la Foux…
Le brouhaha couvrait ses mots. Après avoir bu son café, il rangeait son album, doucement, avec précaution. Puis il repartait, son chapeau sur les oreilles, en faisant attention de ne pas trébucher sur les rails du passage à niveau.
Madame Talon l’a quitté, c’était en été. Cet après midi, comme tous les samedis, il lui apportera des fleurs.
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