Monsieur Dumilieu

Monsieur et Madame Dumilieu habitaient au sixième étage escalier A du 26, avenue des Gobelins. La vie se rythmait au clac de la minuterie, lorsque, par les soirs d’hiver, il fallait descendre la poubelle et remonter les six paliers, marche par marche (vous comprenez, Monsieur et Madame Dumilieu n’étaient plus tout jeunes).
Leur petit studio avait deux fenêtres, des chiens assis soudés au zinc des toits parisiens. Un réchaud dans une pièce où s’entassait leur pauvre bric à brac leur tenait lieu de cuisine. A côté, une petite chambre et tout le confort dans le couloir qui desservait les chambres de bonne. J’habitais moi-même l’une d’entre elles mais j’avais mes aises dans l’appartement de mes parents, deux étages plus bas.
Monsieur et Madame Dumilieu, eux, c’était dans leur mini-cagna qu’ils finissaient leur vie, doucement, comme une chandelle qui s’éteint au souffle d’un léger courant d’air. Leurs enfants ne venaient jamais les voir, voyez vous, c’est loin, Paris, et puis, que voulez vous qu’ils se racontent, assis sur des chaises mal cannées dans ce logis qui sentait l’encaustique et le renfermé ?
Petit à petit, Madame Dumilieu se faisait plus discrète, elle sortait moins, je ne la croisais plus dans l’escalier. C’était Monsieur Dumilieu, avec son nez rouge et son visage élargi, qui faisait les courses engoncé dans son vieil imper marron et qui portait le cabas en soufflant toutes les trois marches. Le gros du ravitaillement consistait en quelques bouteilles de rouge étoilé, peut être un petit camembert et une baguette. Je le saluais en le croisant, puis je dégringolais les marches, une sur deux, sans même tenir la rampe, dans l’obscène exhibition de ma jeunesse. Et j’entendais Monsieur Dumilieu continuer à grimper ces foutues marches de bois, et il s’arrétait encore, sa respiration sifflait.
Une nuit comme les autres, Madame Dumilieu d’endormit pour toujours, à côté de son mari un peu perdu, au milieu des vins du postillon, de la boite de banania et du réveil Jaz aux gros chiffres phosphorescents.

(c) Musefabe 2005

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