Depuis la fin de l’été, Marion ne s’était pas vraiment occupé du jardin. Ce jardin, voyez-vous, c’était une petite parcelle d’herbe fraiche, fermée par un mur de pierres sèches, qui descendait en pente douce vers la route du village. Ce jardin, Marion l’avait créé elle même, en arrivant dans le pays. Elle avait planté des rosiers dont elle ignorait le nom, elle avait installé des rhododendrons et un petit magnolia fragile, légèrement à l’ombre dans la terre acide. On pouvait déjà l’apercevoir la Marion, de bon matin, avant que la brume rose ne se dissipe, au milieu de ses trésors. Vêtue de son petit fichu bleu, penchée sur ses fleurs, elle aérait les plants, elle enfouissait à leur pied un peu d’or brun ou bien, simplement, elle restait là, les deux mains sur le manche de son rateau, à regarder on ne savait quoi.
Un érable, un charme, un prunus et un catalpa donnaient par grand soleil une ombre généreuse lorsque Marion, qui vivait seule, recevait ses amis de l’orchestre de chambre. Installés sur la terrasse auréolée de vigne vierge, ils parlaient fort, buvaient un peu, se taisaient enfin, pour voir disparaitre le soleil derrière la colline.
Non, décidément, Marion n’avait pas le coeur à traiter les rosiers, à couper les fleurs fanées des hortensias, à ramasser les feuilles mortes dont les débris ocre-vert ensemençaient la terre grasse au pied des arbres. Robert, l’altiste, le joyeux drille aux yeux pétillants, les avait quitté au mois d’Août sur une route d’Espagne, broyé dans sa fiat Uno par un semi-remorque dont le chauffeur ivre ne l’avait même pas vu.
Non, décidément, Marion n’avait pas le coeur à jardiner. Elle n’avait pas davantage touché à son violoncelle depuis la nouvelle de cette mort injuste et déguelasse. François, Michel et Fanny n’étaient pas non plus revenus la voir, comme s’il était devenu indécent de se réunir sans que Robert ne puisse raconter une de ces blagues qui les faisaient se tordre de rire…comme ils étaient bien !
Ce jour là, un beau jour d’octobre, Marion était assise sur sa chaise en osier, les mains sur les accoudoirs. La petite cloche de l’entrée la fit sursauter. Elle n’attendait personne en particulier. Elle descendit ouvrir la porte et se trouva face à un homme vétu élégamment, aux tempes grises, au beau visage jovial. Il avait à la main un petit papier.
– Pardonnez-moi, Madame, mais je cherche la Ranchère.
– C’est à côté, juste un peu plus loin. Mais c’est inoccupé.
– Je le sais, fit l’homme. Je suis le nouveau locataire.
Marion le regarda d’un peu plus près. Il devait avoir une soixantaine d’années au plus. il se tenait bien droit dans son costume de velours brun. Sa voiture était garée en contrebas, une petite quatre chevaux comme on en conduisait dans les années soixante.
– Alors, bienvenue, Monsieur…?
– Jean-Pierre Malpar. Appelez-moi Jean-Pierre, si vous le voulez bien. Je suis à la retraite.
– Bienvenue, Jean-Pierre.
Elle ne put s’empécher de sourire. il se dégageait de lui comme une aura familière, inexplicable. Quelque chose que Marion croyait comprendre sans savoir exactement quoi. Alors, elle posa la question qui, à présent, lui brûlait les lèvres.
– Vous êtes retraité de ?
– Oh, je suis musicien. J’étais premier alto à l’ association symphonique de Cambrai.
Marion détourna le regard. Ses yeux s’embuèrent de larmes. Après quelques secondes, elle indiqua le chemin de la Ranchère à Jean-Pierre, qui n’avait pas remarqué son trouble.
Ce soir là, elle ressortit son violoncelle de sa lourde boite. Le lendemain matin, vétue de son fichu bleu, elle ratissa les allées du jardin….
(c) Musefabe 2006
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