L’Europe n’existe plus

Article initial du 15 avril 2016

L’ Europe n’existe plus. L’idée des pères fondateurs, cette brûlante nécessité d’instaurer une ère de paix, de solidarité et de coopération au lendemain de deux guerres abominables, est en train de mourir.

Le socle de sa mise en oeuvre était l’élargissement progressif d’une communauté économique renforcée à d’autres domaines essentiels du vivre ensemble comme la libre circulation des personnes et des biens, une défense commune, une harmonisation vers le haut des politiques fiscales, économiques et sociales, la création d’une monnaie de référence.

Cette grande idée, concrétisée dans l’enthousiasme du traité de Rome en 1957 et dont l’enfouissement a été validé avec la signature du traité de Lisbonne en 2009, a lentement basculé dans le non-sens et le grotesque. Nous assistons à une lente agonie qui puise ses racines dans une incroyable succession d’abandons, de pusillanimité, d’erreurs grossières et de manque de courage dont les dirigeants successifs des pays historiquement impliqués se sont rendus coupables.

Comme résultat, une Union Européenne incapable de gérer la crise des migrants, un nain politique sur l’échiquier international, une puissance militaire dépareillée, un espace où persistent dumping fiscal et social, des peuples déboussolés qui accablent Bruxelles de tous leurs maux, des tentations centrifuges, la mise en oeuvre de décisions nationales unilatérales qui bafouent un exécutif européen à la dérive, comme le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à tout va.

L’Europe apparait donc telle qu’elle est, telle que la souhaitent les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, telle que s’en amusent les Russes et les Chinois, telle que la moquent les Israéliens: une sorte de zone molle de libre-échange dont on peut à son gré tordre les inflexions, en jouant habilement l’égo des uns contre la lâcheté des autres.

De Gaulle parlait de l’ONU comme d’un « machin ». C’est ce qu’est devenue l’UE, un machin incompréhensible, dirigé par on ne sait pas trop qui (l’homme de la rue connait-il le rôle de Donald Tusk, de Jean-Claude Juncker? Sait-il qui est Federica Mogherini?)

Et pourtant, elle est plus que nécessaire cette Europe forte, dans l’intérêt même des pays membres qui ne survivront pas seuls dans le monde instable et dangereux qui s’annonce. Quoi qu’en disent les partisans de son enterrement, au nom d’une indépendance illusoire et mal comprise aux relents autarciques que n’aurait pas désavoués Mussolini, l’Europe est une ardente nécessité.

Mais quelle Europe?

Avant de s’intéresser à la manière dont l’idée européenne pourrait renaître et se développer, examinons quelles sont, de mon point de vue, les raisons principales d’un tel échec:

La course à l’élargissement qui s ‘est accélérée après la chute du mur de Berlin et l’intégration de pays en décalage politique, économique, social et même culturel manifeste, a grippé des processus de décision cruciaux et encouragé les exigences d’exceptions.
L’accueil de nouveaux pays s’est fait en outre dans un espace dont tant de domaines restent au mieux à consolider et au pire à construire. Un peu comme si on accueillait sans arrêt de nouveaux clients dans un hôtel dirigé par 27 directeurs, aux chambres sans literie et dont le restaurant sert du jambon purée aussi bien que des ortolans.
Dans leur propension à mettre la charrue avant les boeufs, certains pays se sont dotés d’une monnaie unique et d’une banque centrale avant d’avoir harmonisé leurs politiques économiques, sociales et fiscales. La folie de l’intégration de la Grèce dans la zone euro, sur la base d’informations mensongères habilement compilées par Goldman Sachs est symptomatique de cet aveuglement.
Le citoyen européen n’a jamais bien compris le fonctionnement d’institutions d’autant plus complexes qu’elles sont le fruit de compromis laborieux et incessants entre états membres jaloux de leur pré-carré.
La frénésie normative des technocrates de Bruxelles, qui définissent les dimensions des boites de sardine a contribué à porter auprès des peuples l’image désastreuse d’une gouvernance en décalage profond avec la réalité quotidienne, et qui ne se préoccupe pas des problèmes cruciaux comme le chômage et la sécurité.
Le repli sur soi est dès lors manifeste, avec la prise de pouvoir de partis résolument euro-sceptiques en Pologne et en Hongrie, sans parler du référendum imprudemment promis en Grande Bretagne par David Cameron sur le Brexit.

Ainsi que le rapporte un article récent de Pierre Lévy dans « Le Grand Soir »:

« « Le moment est marqué par une conjonction de crises majeures qui plonge la plupart des dirigeants européens dans un désarroi profond. On a déjà cité ici le président de la Commission évoquant « le bord de l’abîme » ou Michel Barnier s’effrayant d’une possible « dislocation ». Tentent-ils d’imaginer « le pire » pour espérer mieux le conjurer ?
Toujours est-il que Le Monde (09/02/16) vient de consacrer une pleine page à ce début de panique. Sa correspondante à Bruxelles rapporte ainsi la « supplique » désespérée du président de l’europarlement en direction des médias : « il faut que vous nous aidiez à remobiliser le camp des Oui à l’Europe, on ne l’entend plus ». Et notre consœur de décrire les dirigeants européens comme « tétanisés par l’impopularité de ‘leur’ Union » : « quoi qu’ils disent, les opinions publiques ne suivent plus. Les référendums sur l’Europe se succèdent et se ressemblent : après les Non grec et danois en 2015, ce sont les Non néerlandais (en avril) et surtout britannique qu’ils redoutent. L’Europe libérale, démocratique, ouverte, plus personne ne semble vouloir l’ »acheter » ».

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